CHANONAT
Niché au fond d'un vallon,
Le Chanonat de mon enfance
Est entouré de villages perchés,
Fermé par le plateau de la Serre,
Vaste étendue plantée d' arbustes,
De taillis et de fleurs rares,
Que l'on gravit par des chemins creux et ombragés.
Les champs modestes,
Bordés de murets,
De haies d' aubépines et d' églantiers au printemps,
Et chargés de mûres à l' automne,
Les jardins nourriciers,
Les vergers de pommiers,
Les vignes des coteaux,
Les prairies vertes émaillées de fleurs
Qui composaient nos bouquets,
Formaient autant de paysages champêtres et authentiques.
Mon Chanonat est un humble village,
Riche de trésors précieux et immortels :
La petite église romane,
Eclairée de vitraux colorés,
Au tympan finement sculpté,
S'ouvrant sur une place libre,
Plantée de vieux arbres et d'une croix majestueuse,
Posée sur un socle de pierre ;
L'ancienne Ecole des Soeurs
Qu'il fallait atteindre par un chemin caillouteux
Descendant jusqu'à l' antique Maison des Templiers
Que nous croyions peuplée de fantômes !
On pouvait aussi y accéder par l'impasse
Où l'on peut découvrir deux magnifiques portes gothiques.
Et les belles fontaines
Qui abreuvaient les bêtes au retour des prés !
Celle sur la Grand-Place,
Octogonale, en lave grise
Où nous nous aimions tremper nos doigts d' enfants
Et nous mirer dans son eau pure.
Celle de la rue du Chabry
Qui descendait devant notre maison jusqu'à l' Auzon.
Dans la rue du Voisin,
Celle qui remplissait nos arrosoirs les soirs d' été.
J'aimais, particulièrement, les croix de pierre
A la rencontre des chemins :
Celle des routes de Jussat,
D' Opme,
Du Crest,
La belle croix celte sur la route de la Roche-Blanche,
Celle encore, face à l' école,
Près d'une antique chapelle romane,
Où fleurissent sur ses murs des touffes de giroflées
Oranges et jaunes au printemps
Ou la grande croix de fer forgé
Près de la Cure
Avec sa vieille tour
Et ses fenêtres à meneaux ;
Et toutes les autres à la croisée des chemins.
C'est toujours un plaisir de flâner
Dans les ruelles de notre village,
Revoir les maisons d' antan,
Aujourd'hui rénovées,
Evoquer ces femmes aux prénoms désuets :
La Sidonie, l'Anaïs, la Mathilde, la Lucie,
La Valérie, la Marie, la Rosalie
( Que j'ai connue portant la coiffe noire tuyautée,
Attachée sous le menton )
Et qui ont laissé leur empreintes dans notre mémoire.
Je me souviens encore du troupeau de moutons,
Emmené chaque matin au pacage
Par le berger et son chien,
Des vaches qui défilaient, d'un pas mesuré,
Lâchant leurs bouses sur la chaussée,
Des chiens familiers,
Des chats des voisins,
Des hirondelles rentrant aux nids sous le balcon d' Yvonne !
Je n'oublierai pas non plus les hommes de ce village,
Pansus, la casquette vissée sur la tête,
L'outil sur l' épaule
Tirant le cheval
Ou les boeufs,
Tôt levés, travailleurs multiples :
Dans les champs, les prés, les vignes,
Les vergers, les jardins..
Que je retrouve à présent, avec émotion,
Dans le vieux cimetière
Où leurs noms sont inscrits à jamais sur leurs tombes.
Eliane Cartron-Bousquet